They came along and washed my soul so easy
High above myself, but I could hear them anyway
The wind is taking them away so feathery
To show them all the places they can reach
Elle est là, maigre comme il n’y a pas. Elle est là, soutenue par des coussins, emmitouflée comme si elle sortait d’un voyage au Pôle Nord. Un pâle sourire sur les lèvres. T’as mal au cœur. T’as mal au cœur, quand tu la vois, là. T’es pas capable de sourire. T’es pas capable de sourire face à ça. Ce sac d’os sur un matelas. Ce sac d’os à osciller entre sa chambre et la clinique. L’allure fantomatique. Les cernes sous les yeux et les os qui pointent sous la peau. Une maigreur à te faire vomir. Une maigreur qui suffit à faire venir les larmes au coin de tes prunelles. Quelque part, tu ne comprends pas. Qu’est-ce que tu as fait, qu’est-ce que vous avez fait, qu’est-ce que la société a fait. Tu ne sais pas à qui il faut en vouloir : elle, toi, vous, le monde ? Tu cherches les réponses. Encore et encore. Est-ce que tu n’as pas été assez là ? Est-ce que tu n’as pas été assez présent, présent au bon moment, pour l’aider à se tirer de là ? Tu pourrais rester des heures à songer. Des heures à retourner tous les éléments, assis sur le fauteuil juste à côté. Des heures à essayer de comprendre pourquoi ta petite sœur ne semble pas vouloir s’accrocher plus que ça. Tu t’en veux. Pour être égoïste à ne pas vouloir y penser. Tu t’en veux, pour trop y penser.
« Pourquoi ? » C’est le seul truc que tu arrives à demander. C’est le seul truc sur lequel tu te sens capable de communiquer. Tu voudrais des réponses. Tu voudrais tellement de réponses. Comprendre pourquoi. Savoir sur qui frapper pour qu’elle redevienne celle qu’elle était. Tu voudrais comprendre comment vous avez fait pour autant vous éloigner. Pour que tu arrives à ne plus savoir quoi faire, pour que tu arrives à ne plus savoir comment la consoler. Tu as envie de hurler. Tu as envie de la secouer dans tous les sens, de la réveiller. Tu as envie de lui montrer tout ce qu’elle était en train de louper. Tous ces moments que vous ne pouviez plus partager. Parce qu’elle était là, à osciller. A se noyer. Parce qu’elle était là, et nulle part à la fois.
Si tu t’es levé, c’était pour fuir. Si tu t’es levé, c’était pour l’oublier. Parce que tu t’en veux. Parce que tu te sens mal, rien qu’à y songer. Si tu as cessé de venir, petit à petit, c’était parce que tu n’étais plus capable de te confronter à la réalité.
Tu t’en veux, pour l’avoir laissée. Délaissée. Incapable de la voir dépérir à petit feu. Incapable de comprendre quelles ficelles tirer pour démêler cet incroyable sac de nœuds. Incapable d’être là quand il le faudrait. Quand il le fallait. Tu as voulu jouer aux égoïstes, et faire comme si rien n’existait. Comme si rien n’avait jamais existé. Comme si rien de spécial ne vous était jamais arrivé.
And it's not too far for them to go and leave
Me all alone like there is no guaranty for such a dream
And they bequeath me a black feather on the way
And I say: "yes, I am a dreamer and these feathers
They won't stay"
T’es là, à foutre ton bordel dans ta coloc. Tu es là, à brailler du Bob Dylan de ta voix presque éraillée. Tu t’en fiches un peu, qu’on vienne brailler pour les fausses notes. Tu t’en fiches un peu, qu’on vienne toquer à la porte pour te demander d’arrêter. Tu es trop dans ton monde. C’est comme si tu t’oubliais. C’est comme si tu oubliais que tu existais. Tu t’adonnes à la tâche, tu t’occupes l’esprit. Tu t’interdis de laisser les autres se glisser dans tes secrets. Souvent, tu t’interdis d’en dire trop. Parce que tu refuses une quelconque pitié. Parce que ce n’est pas toi qui mérite qu’on s’apitoie. Ce n’est pas toi. Personne d’autre que ta sœur qui dépérit, là-bas. Toi, t’es là, dans ton cocon. T’es là, dans ton abri. Tu donnes vaguement des nouvelles. Tu en prends, parfois. Comme si toute cette histoire était devenue la normalité. Tu mimes le parfait idiot, tu fais semblant d’oublier. Tu tentes d’exister comme si de rien n’était. Tu fous des couleurs dans ton nouveau monde. Tu te peins les ongles. Pas parce que tu es gay. Pas parce que tu cherches à devenir quelqu’un d’autre que toi. Tu n’es rien de tout ça. Tu te peins les ongles, parce que tu apprécies le contact du vernis sous tes doigts. Parce que ça t’aide à t’éviter de te les ronger lorsque tu tripotes ton téléphone ou lorsque tu t’autorises une clope, tel un adulte angoissé. C’est probablement purement au fond de ton crâne. Comme si voir cet amas de couleurs pâles allait t’aider à t’en tirer. Tu fous le bordel dans ton monde. Tu fais du bruit, tu éclates de rire quand tu peux. Tu éclates de ce rire trop bruyant, peut-être, parfois. Ce rire d’enfant idiot et visiblement insouciant.
Pourtant, tu es le premier à sauter sur le téléphone dès qu’il sonne. Pourtant, tu es le premier à quitter le bureau tel un demeuré dès que tu vois le numéro d’un proche s’afficher. Tu es le premier à vouloir changer les choses. Tu es le premier à hurler contre les affiches placardées sur les panneaux publicitaires. Parce que tu penses que le monde n’avancera jamais. Parce que tu penses que le monde n’avancera jamais, surtout si vous continuez d’avancer de cette manière. A lever des yeux admiratifs sur leurs hanches fines. A baisser la tête et faire comme si leur maigreur n’était pas horreur.
T’es écœuré de voir à quel point tout est idéalisé. T’es écœuré des standards qu’on diffuse en boucle sur les chaines télévisées. T’es écœuré par ces images qui disent à quoi il faut ressembler. T’es écœuré par cette société qui tourne la tête des plus faibles (mais des meilleurs aussi). T’arrives à un moment de ta vie où les autres semblent épanouis. T’arrives à un moment où les autres semblent cocher les critères d’une société dont le fonctionnement continue de t’échapper.
Tu te sens comme le personnage secondaire d’une histoire trop de fois répétée. L’un de ceux qui, depuis longtemps, a capté que le monde tournait autour d’une autre entité.
I wish somebody would have told me, babe
Someday, these will be the good old days
All the love you won't forget
And all these reckless nights you won't regret
Someday soon, your whole life's gonna change
You'll miss the magic of these good old days
Des lettres en morse. Des dessins dans ta boite aux lettres, une guirlande de lettres qui te liait à la sienne.
Nimue.
Nimue, et les souvenirs de ton enfance qui remontent. Nimue, l’enfant sauvage d’un temps. L’enfant avec qui tu as joué, longtemps. Arrivée de nulle part, alors que tu galérais à aligner de grandes phrases en anglais. Arrivée de nulle part, à rire sincèrement, lorsque tu te trompais. Lorsque tu ne savais plus quoi dire. Avec Nimue, c’est un monde avec des guerrières. Avec Nimue, c’est un univers où tu es matelot, où elle est capitaine. Ce sont des univers – les vôtres – où vous partez à l’aventure.
Nimue, c’est une enfant qui disparait, subitement. Nimue, c’est une enfant qui resurgit brusquement dans ton présent. Pour partir, encore. Pour repartir à l’aventure, pour redevenir enfants.
Avec Nimue, tu t’es senti capable d’espérer, encore. Avec Nimue, tu as cru que tout allait s’arranger. Tu t’es senti fort. Tu t’es senti héros d’une vie que tu croyais presque pouvoir contrôler.
Tu t’es senti stupide.
Tu t’es senti idiot.
Tu t’es senti amoureux, surtout.
Tu lui avais proposé de faire des autocollants.
Tu lui avais proposé de dessiner des autocollants, pour aller les afficher dans la rue, stupidement.
Pour mettre un peu de couleur dans le monde, dans ce monde. Pour mettre des phrases encourageantes – peut-être pour te soulager un peu l’esprit quant à ta sœur, aussi.
Des autocollants pour décorer son appartement.
C’est stupide et innocent, des autocollants.
Et quand tu frappes, ce n’est pas Nimue.
Et quand tu frappes sur le battant de bois, tu ne te retrouves pas face à Nimue.
C’est le Monstre. C’est un Monstre. Un Monstre vengeur, un Monstre de haine. C’est un Monstre que tu ne connais pas, c’est un Monstre que tu ne connais pas.
C’est un Monstre contre lequel tu crois pouvoir te battre, l’espace d’un instant. C’est un Monstre que tu crois pouvoir vaincre, ne serait-ce que pour sauver ta princesse. Ne serait-ce que pour sauver ta capitaine.
Idiot.
Idiot.
Le Monstre brise, ravage. Le Monstre joue, savoure tes yeux amoureux. Savoure ton regard paniqué, ton refus de devenir Homme-Monstre.
Le Monstre brise.
Le Monstre attache, détruit, force vos corps à s’entrechoquer. Le Monstre filme.
Le Monstre ne laisse que des miettes de vos âmes et un sillon de honte.
Tu ne voudrais plus. Tu ne voudrais plus être un homme, ne serait-ce que pour lui ressembler encore un peu moins.
C’est difficile.
C’est difficile, de regarder Nimue. Après ça. Après avoir fui comme un lâche, sans avoir osé poser les mots sur ce qu’il venait de se passer. Sans oser mettre un nom sur la chose que tu n’osais nommer.
C’est difficile, de te regarder. C’est difficile, de croiser ton reflet dans un miroir, sans avoir la nausée. Sans te détester.
No use in saying "what is done is done"
'Cause it's not enough
And when the night gives way
It's like a brand new doomsday
Proposition folle.
Partir.
Quitter vos appartements respectifs, fuir.
Essayer de vous retrouver. Essayer de retrouver ce que vous aviez perdu dans la nuit, là-bas.
Partir, pour essayer de respirer à nouveau. Pour essayer de vous retrouver, pour essayer de croire à nouveau. Une dernière fois.
Une dernière lettre que tu laisses.
Une dernière lettre que tu lui laisses, pour laquelle tu attendras la réponse. Longtemps. Peut-être. Juste assez pour t’en vouloir mille fois, juste assez pour laisser ton cœur à nouveau se fendiller. Pourquoi est-ce que tu l’as postée ? Pourquoi est-ce que tu l’as glissée dans sa boite aux lettres, alors que c’était souvent toujours aussi douloureux de simplement la regarder ?
Lettre de retour.
Lettre qui finit par arriver.
Lettre qui fait battre ton cœur comme jamais. Lettre qui te pousse à courir comme un fou, pour la serrer dans tes bras, pour l’attraper contre toi.
Lettre qui laisse, à nouveau, planer l’espoir.
Tu veux essayer, à nouveau.
Tu veux tenter, quelque chose. Tu veux tenter d’exister. Partir, avec elle. Partir, s’éloigner un peu du Bronx, de votre quartier maudit, pour essayer de reprendre un nouveau souffle. Le laisser assez proche de vous pour simplement vous souvenir, peut-être. Mais respirer. Ne plus étouffer.
Des moments d’hésitations. Des questions idiotes qui vous taraudent l’esprit. Où aller. Comment. Vous deux, ou loin l’un de l’autre ?
Des questions qui ont mis du temps avant d’être plus ou moins formulées. Des questions qui ont tout de même finies par trouver réponse. Une relation étrange, à laquelle il faudra t’habituer. Une colocation refuge, au milieu des autres. Au milieu de votre monde. Pour vous poser. Ici, dans le Queens. Pour vous poser, essayer de réparer les pots cassés. Pour vous soutenir et chasser les démons. Les monstres sous vos lits séparés, et recoller vos cœurs brisés.
scarecrow. ---- / 22 ans ---- / rpgiste