Soul eaters _ Cash

SOUL EATERS
all i want

Y a l’grattement.
Cette foutue mine contre le papier, la seule qui marque le dépôt des secondes depuis que le disque s’est arrêté sur la platine.
Ça gratte. Ça gratte sur la feuille qui s’noircie, sa gratte le long des nerfs.
Ça vrille sous l’crâne.
Qu’est-c’qu’il fait.
La pointe transperce.
Je fixe d’un air interdit le trou créé dans la pupille gauche du croquis et qui forme un étrange regard vairon au dessin inachevé. Il doit y avoir le même sous les côtes, juste entre les deux oreillettes du myocarde pulsant en chamade désaccordée.
Mes pupilles dérivent sur les esquisses qui jonchent le sol. Toutes me semblent laides. Perturbantes.
Sur l’une j’remarque l’ourlet de sa bouche dessinée. Sur une autre c’léger froncement des yeux, annonciateur du pire.
C’est diffus, de simples détails qui se sont glissés comme des erreurs au milieu du tableau final.
Le coin d’mes lèvres se tord en grimace tandis qu’un muscle maxillaire se met à tressaillir régulièrement.
« Merde… »
Le grognement sort du fond d’la poitrine, à peine étouffé entre les dents. J’froisse les pages entre mes phalanges, fantasmant plutôt de les enserrer autour d’une certaine gorge.
Faut que j’prenne l’air, j’étouffe sous les poutres où passent pourtant de fin courants d’air gelés. Faut que j’vois du noctambule à la dérive, les lumières multicolores des rades plus ou moins miteux. Que j’me sorte des neurones sa sale gueule d’angelot.
Mes jambes se redressent nerveusement pour m’permettre de fouiller dans l’buffet. Le sachet – jamais très loin- crisse entre les doigts d’une façon séductrice. Avec les gestes rendus mécaniques par l’habitude, j’me trace une ligne généreuse directement envoyée dans les narines. L’amertume picote sympathiquement en m’fournissant un regain d’énergie artificielle.
J’finis par embarquer la première veste qui traîne et dégringoler les escaliers en m’foutant éperdument des voisins.

J’reprends contact avec le bruit diffus d’la circulation. C’est brutal comme une mandale.
Autour c’est l’agitation tranquille d’une grande ville à minuit passé.
Mes semelles claquent sur le bitume en s’mêlant à la cacophonie. Neurones sur pause, j’me contente de flâner jusqu’à ce que mes prunelles agrandies se vrillent sur une silhouette familière.
Il débarque en silence dans mon champ d’vision, mais avec la violence d’un ouragan. Mon corps se met en pilote automatique. Je le fouille minutieusement d’un regard qui doit lui brûler l’épiderme. J’ai les neurones en vrac, rien qui percute sauf son visage que j’dévore du bout des pupilles. Dans l’estomac y a une vague terrible qui s’termine en incroyable noyade.
J’m’avance droit vers lui, la rage qui commence à m’perfuser les veines. Plus j’m’approche et plus il a l’air déplacé, emprunté.
L’enfoiré détonne dans ce paysage familier. Des lustres que j’ai pas eu le luxe d’apercevoir sa sale dégaine qu’il vient afficher sur le trottoir d’en face. J’rêve plus que d’une chose : lui faire sauter une ou deux quenottes parfaitement alignées.
Une voiture m’klaxonne quand je traverse la route. J’lui adresse un doigt d’honneur bien haut pour lui transmettre le message.
J’le bouscule du plat de la paume, en m’retenant de justesse de laisser mes phalanges aller s’éclater contre son menton.
« Tu dégages toi ! » Y a tout l’mépris du monde dans ces trois lettres. « T’as rien à foutre là. »
J’crache ça comme des balles, comme si l’macadam m’appartenait avec tous les buildings en arrière-plan.
Comme si Cash était du genre à obéir.
   

camo015